Ma mère, je l'aime quand elle a sa voix douce et joyeuse,
quand elle blague et rit de ses contrariétés,
en disant des gros mots d'humain.
Parfois je sens que sa voix est froide, fausse, déprimée,
qu'elle pèse chaque mot, qu'elle jauge mes réponses
et me prête instantanément des pensées fielleuses.
Et elle m'agace, elle m'insupporte.
Mon père, je l'aime quand je suis seule avec lui.
Je l'aime à pleurer quand, à Carrefour, sa gentillesse polie ne rencontre aucun écho
dans les yeux de cette poufiasse de caissière,
qui passe au client suivant sans avoir répondu à son sourire candide.
Alors j'ai envie de pleurer et de le serrer dans mes bras.
Parfois il s'emporte, il dit des mots horribles.
Et il m'agace, il m'insupporte.
Il y a ma chef, gentille, marrante souvent, complice parfois.
Attentive et juste en général.
Mais une fois elle m'a humiliée devant mes collègues,
se plantant devant moi en m'expliquant que non je ne pouvais pas prendre ce jour de congé,
même pour raisons médicales, que j'avais un BOU-LOT,
que je devais comprendre que ce n'était pas po-ssi-ble.
Et que si je persistais dans cette voie, on allait "s'arrêter là".
Et elle m'a fait pleurer, tellement sa hargne était tenace.
"trop sensible", qu'ils ont dit, les autres.
Il y avait ma meilleure amie L.
Drôle, aimable, complice, soeur.
Quand j'étais encore dans ma ville d'origine.
Et ce silence, cet oubli rampant.
Je l'aimais quand on refaisait le monde, quand on se trouvait
des points communs en riant.
Je l'aimais quand on ratait un gateau, mais ensemble.
Je l'aimais quand je la voyais monter dans son taxi et que je revenais chez moi
dans le parfum de notre tabac de fin de nuit.
Et son silence m'agace, elle m'insupporte.
Ma psy, je l'aimais bien.
Son silence mesuré, ses interventions pertinentes parfois.
Je sentais que je n'avançais pas aussi rapidement que je le souhaitais, mais peu m'importait.
Mais quand je lui ai dit que - en raison d'ennuis financiers - je ne viendrai pas pendant un mois,
elle m'a dit que l'on ne pouvait pas faire une "thérapie à la carte" et que "toute séance manquée était dûe".
Et ça m'a agacée, dès cet instant j'ai su que ma thérapie avec elle était terminée.
"trop sensible" qu'elle aurait dit.
Je me sens engluée.
Comme une mouche dans une plante carnivore qui se dit "merde j'ai cru"
Je me sens engluée
Certaine que toute relation humaine mène à la trahison.
Certaine que quelque chose en moi cloche, provoque ce genre de choses.
Je me sens engluée.
Désemparée, incapable de réflexion froide.
"Tu es trop sensible", qu'il disent.
"Pauvre maudit.
Comme ta vie doit être une comédie.
Pauvre maudit.
Mais comme ta vie doit être une longue nuit
Pauvre maudit."
Véronique Sanson - Le maudit
à 12:14