J'ai passé la nuit à pleurer, et je me retrouve dans ce bureau douillet.
J'ai les yeux enflés, je suis maquillée, j'ai mis mes lunettes pour cacher mes paupières.
Il fait chaud, la lumière est douce, j'ai du café devant moi.
Si je tourne légèrement la tête je peux voir cet horrible poisson noir qui ondule placidement dans son eau...

Quand je suis arrivée dans la rue, le nouvel avocat, Brad, m'a souri de loin. Il m'a attendu et tenu la porte de l'immeuble.
Il a un air gentil de chien fou, un peu mal à l'aise dans son costard.
On nous l'a présenté hier matin.Ma collègue de droite n'en pouvait plus, faisant des jeux de mots à la noix avec son prénom et son nom.
Genre...Un mec qui s'appelle Brad...On lui fait forcément le coup de Brad Pitt ! Avec un peu de chance personne ne lui a jamais fait...

Finalement ce café a un goût de liquide vaisselle.

Passons.

Je reviens de ma pause...
Au rez de chaussée du cabinet, il y à l'intérieur d'une cour, un jardin luxuriant, vert, encombré de verdure élégante. Un petit miracle dans Paris. J'ai ouvert la porte pour aérer un peu...J'ai levé le nez et j'ai vu dans les arbres, trois pigeons énormes et splendides, pas des pigeons de ville tout rabougris, mais de superbes pigeons - d'un gris doux et un majestueux collier blanc - dont on a envie de toucher les plumes, qu'on a envie de câliner comme une peluche...

Le nez en l'air dans l'air calme je sentais toujours cette souffrance qui me vrille le ventre. Cette impression de n'être plus rien. Ce sentiment terrible d'être complètement perdue, désincarnée, ailleurs.

Et le pire.
La haine.

Je le hais pour tout ce qu'il m'a fait endurer.

Et je me hais de m'être laissée faire.

Hier, il m'a donné l'ultime coup de poignard.
Qui m'a fait comprendre que je ne suis pas grand chose.
Et que je n'ai jamais été grand chose pour lui.

Bien sûr pendant toutes ces années il y avait eu les coups, l'humiliation, les soirs où je pleurais seule dans le canapé pendant qu'il dormait tranquillement, et puis sa tentative de détruire ce qu'il restait : mon image, mes amis, le peu de substance qu'il restait, mon enveloppe. Mes parents aussi. Mon cocon...Il a mis des mines entre mes parents et moi qui exploseront plus tard. Car il leur a fait lire mon journal intime.
Et c'est une trahison de sa part à lui, mais également de ma mère...qui, j'en suis sûre, a lu mes écrits. Ces mines là exploseront sous mes pieds ou sous les leur.

Et dans tout ça...dans cet acharnement cruel
qui me dépasse...je ne sais même plus qui je suis.